Les petites histoires de l'éducation

La cantine scolaire : une charge nouvelle pour les enseignants au début du XXe siècle

André Balz (1845-1931)
Professeur agrégé de lettres

Dans cet article, André Balz (1845-1931), professeur agrégé de lettres, discute les difficultés relatives aux cantines scolaires, pensées alors pour les enfants issus de familles populaires qui n’auraient pas d’autre possibilité de recevoir un repas substantiel dans la journée. Qui doit surveiller ces enfants ? Les surveillants doivent-ils être payés ? Telles sont les questions qui animent la communauté enseignante en 1909. 

Ceux qui ont établi l’obligation de l’enseignement se doutaient-ils que pour pouvoir instruire tous les enfants du peuple on se verrait d’abord dans l'obligation de les nourrir ? L’établissement des cantines scolaires comme la gratuité des fournitures avait pour but, à l’origine, de venir en aide aux parents nécessiteux. Mais, du jour où l’on apprit que les enfants pourraient rester à l’école, entre les classes du matin et celles du soir et recevoir, par surcroît, un déjeuner substantiel, le nombre des nécessiteux grossit formidablement et c’est à qui maintenant tâchera d’avoir la meilleure part de la sportule administrative.

Dans les grandes villes, c’est par centaines que se comptent les enfants qui restent à l’école toute la journée. L’externat primaire, qui était autrefois la règle, tend à devenir l’exception, et, par suite, l’instituteur qui, jadis, n’avait que sa classe à faire, est obligé de se dédoubler et de surveiller, pendant les repas et les récréations, une bonne partie des enfants qui lui sont confiés. 

Cette question des cantines, qui rappelle celle du pourcentage, a fait pousser comme des champignons d’innombrables articles dans les journaux et revues d’enseignement. Elle a reçu dans certaines villes des solutions diverses, mais elle reste encore en suspens dans la plupart d’entre elles. À Paris même, la crise était depuis plusieurs années à l’état aigu. Songez que, dans certains arrondissements, on compte jusqu’à trois cents enfants qui restent à l’école entre la classe du matin et celle du soir !

Ces enfants, qui doit les surveiller ? – L’instituteur, a-t-on répondu sans sourcilier. – Mais les forces humaines ont des limites. Le maître qui fait classe matin et soir n’a-t-il pas droit dans l’intervalle à quelques heures de répit ? Et si, demain, l’on venait à établir, comme on l’a proposé quelquefois, des internats primaires, ajouterait-on encore au service des cantines le service de surveillance des dortoirs ?

Au conseil municipal de Paris on s’est ému des justes doléances du personnel et l’on a maintes fois essayé de mettre un terme à cette situation. En 1905, M. Bussat proposait de considérer la cantine comme un service extra-scolaire et d’attribuer une indemnité à ceux qui voudraient bien s’en charger. Un autre conseiller municipal, M. Hénaffe, réclamait l’organisation d’un personnel spécial qui serait chargé de tous les services accessoires de l’école, cantines, classes, de garde et, au besoin même, des remplacements. On recula devant les aléas du système et les dépenses qu’il ne pouvait manquer d’entraîner. Enfin, après bien des palabres et des ajournements, les choses ont fini par s’arranger grâce à l’activité persévérante d’un vieil ami de l’école, M. Bellan.

Désormais le service des cantines sera rétribué, et l’administration – là où ce sera nécessaire et possible – pourra exceptionnellement faire appel à un personnel auxiliaire. Mais cela à une condition, c’est que les instituteurs, à tour de rôle, reprendront leur service à midi et demi et non à une heure moins un quart. Et pourquoi cette rallonge d’une demi-heure à la journée scolaire ? 

« Il n’est pas un de nous, explique M. Bellan, qui n’ait reçu les plaintes des familles pour l’ouverture tardive des portes de nos écoles qui restent fermées jusqu’à une heure moins un quart. Les enfants qui sortent pour déjeuner dans la famille et que leurs parents, retenus par leur travail, ne peuvent surveiller, attendent dans la rue l’ouverture de l’école au grand détriment de leur moralité. La nouvelle réglementation, en supprimant ce sérieux inconvénient, serait bien accueillie par la population, surtout dans les quartiers populeux. »

C’est la rançon dont il a fallu payer la solution adoptée par le conseil municipal. Mais si, en échange, ce « rabiot » doit enterrer l’obsédante question des cantines scolaires, les instituteurs y trouveront encore leur compte.

Ainsi, d’après le nouveau règlement, le service des cantines dans les écoles de Paris commencera à onze heures et demie pour se terminer à midi et demi. Il sera confié à un maître ou à une maîtresse pour un chiffre d’élèves inférieur à cent, à deux maîtres s’il reste à l’école de cent à deux cents élèves, à trois maîtres s’il en reste plus de deux cents.

Ce travail supplémentaire sera rétribué à raison de 1,50 franc par séance. « Ce chiffre n’a rien d’excessif, ajoute le rapporteur, étant donné la fatigue qui résulte de ce service pour les maîtres et les maîtresses et étant observé, en outre, que, s’il est confié à une personne étrangère à l’école, celle-ci aura à supporter les frais d’un double déplacement. »

Non, certes, monsieur le rapporteur, votre tarif n’a rien d’excessif. Ceux qui accepteront la corvée de surveiller, pendant cette heure-là, une centaine d’enfants, n’auront pas volé leurs trente sous, ce qui ne représente après tout qu’un centime et demi par tête d’écolier. Et, quant aux auxiliaires de bonne volonté qui viendront de plus ou moins loin, remplacer les instituteurs, ils feront bien de ne pas fréter d’automobile et d’employer plutôt leur indemnité à la réfection de leurs chaussures.

Pourtant, si maigriote que nous semble cette rétribution, elle représente encore pour la Ville de Paris une dépense supplémentaire de 236 250 francs. Le rapporteur espère, il est vrai, que les instituteurs, étant moins surmenés, ne seront pas forcés d’interrompre aussi souvent leur service et que les frais de suppléance pour maladies en seront réduits d’autant, mais je ne sais jusqu’à quel point nous devons partager cette illusion. 

Si l’on voulait sérieusement endiguer les dépenses de ce genre, au lieu de lésiner sur l’indemnité des surveillants, ne serait pas possible de diminuer le nombre des surveillés ?

Tous ces enfants que vous nourrissez « aux frais de la princesse » sont-ils vraiment des fils d’indigents ? N’y a-t-il pas dans le nombre des fils de fricoteurs, toujours prêts à traire cette bonne vache à lait qu’est la Ville de Paris ? Y a-t-il vraiment sur le pavé tant de gens qui manquent de pain ? Et ne retrouverait-on pas, sans chercher bien loin, bon nombre de ces assistés de contrebande autour des comptoirs du marchand de vins ?

 

 

André Balz (1845-1931) est un professeur agrégé de lettres. Il a été le président de l’Association de la presse de l’enseignement et un contributeur très régulier du Manuel général de l’enseignement primaire. 

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