La parole aux enseignants

Tous profs ! Plaidoyer pour la classe inversée

✒ Léonard de Chasemartin, professeur d'Histoire-Géographie, École La Source

Au début du XIXe siècle, l’école mutuelle, dans laquelle le professeur s’appuie sur plusieurs élèves qui jouent le rôle de « tuteurs » auprès des autres , compte plusieurs milliers d’écoles et fait concurrence à l’« école simultanée » (conventionnelle) des frères des Écoles chrétiennes, raconte le Musée national de l’éducation de Rouen.

Depuis quelques années j’expérimente dans mes classes le fait de confier aux élèves des fonctions généralement exercées par l’enseignant : faire l’appel, distribuer la parole, écrire au tableau, demander le silence…  L’idée m’en a notamment été donnée par la pédagogie développée dans l’école primaire de l’établissement où j’enseigne, l’école la Source à Meudon, qui fait partie du mouvement de l’Éducation nouvelle.Les élèves y exercent des Métiers en classe à tour de rôle (messagers, chargés du ménage…) et à la cantine (mettre la table, laver, débarrasser…).

Comme j’étais professeur principal en 6e lors de mes premières années dans l’école, les élèves m’ont demandé de continuer à faire ces « métiers ». Par ailleurs, dans les Conseils des élèves, ces derniers exercent aussi, à tour de rôle, des fonctions spécifiques : président, chargé de l’ordre du jour, « maître du temps », secrétaire, « chuteurs »… 

Je me suis dit qu’il n’y avais pas de raison de réserver ce fonctionnement au temps spécifique du conseil des élèves et que nous pouvions aussi l’expérimenter en cours d’Histoire-Géographie (j’enseigne cette matière pour la septième année, dont six dans la même école, actuellement en 6e, 4e, 3e, 2nde et 1ère spécialité Histoire, Géographie, Géopolitique et Science Politique ).

J’ai donc commencé par proposer à des élèves volontaires d’écrire au tableau la leçon que je dictais à la classe – cela permet notamment de donner un modèle avec une orthographe et une présentation correctes aux autres élèves ; par ailleurs certains élèves ont une écriture plus lisible que la mienne !

D’autres ont proposé de dicter eux-mêmes le cours (imprimé) au reste de la classe. Dans ce cas, j’ai parfois moi-même pris en notes la leçon dans leur cahier, leur ai fourni la photocopie ou bien encore ils se sont engagés à la recopier sur le cahier d’un camarade ensuite. 

J’ai bien sûr accepté les propositions d’exposés d’élèves – certains se sont avérés être de véritables cours ! Récemment, j’ai même donné comme sujet d’exposé le thème de la séance prévue (les principes de la République, en EMC en 3e). Ces expériences sur la base du volontariat ne permettent cependant pas d’impliquer tous les élèves.

L’année dernière, en fin d’année scolaire, nous avons décidé d’aller plus loin avec les élèves d’une classe de quatrième : tous les élèves devaient être « profs », à raison de deux par séance,l’un écrit et l’autre distribue la parole lors des corrections de questions.

L’effet sur les deux élèves les moins impliqués et les plus perturbateurs depuis le début de l’année a été immédiat :  premiers à s’inscrire, ilsont parfaitement joué leur rôle. Lors des cours suivants, que je sois assis à côté d’eux au fond de la classe les a aussi aidés à s’impliquer. Un autre élève, parfois agité, s’est révélé, lors de la séance durant laquelle il était « prof », le chuteur le plus efficace.

Depuis cette position fond de la classe, j’ai pu observer les élèves, relever es interactions positives et négatives entre euxleur mise au travail…. 

Cette année, j’ai donc proposé aux élèves de mettre en place ce système dès le début de l’année, avec des modalités différentes dans chaque classe, en fonction de la discussion que nous avions eue et toujours souples. Cela a été d’autant plus facile que l’école est petite (trois classes par niveau) et que je retrouve en partie les mêmes élèves d’une année sur l’autre. 

L’une des raisons qui m’ont encouragé à faire ces expérimentations est que, durant mes premières années d’enseignement, j’ai eu des problèmes de voix. J’ai même dû être opéré des cordes vocales. Cela m’a fait réfléchir à la place que je prenais dans la classe et dans les conseils des élèves, où, comme l’indique leur nom, ce sont d’abord les élèves qui doivent échanger. Le fait de laisser ma  place au tableau et de ne plus être au centre de l’attention,est aussi très reposant.

Tout n’est pas toujours facile : en quatrième et en troisième,je dois pour l’instant revenir fréquemment au tableau pour réguler la parole, notamment lorsque les élèves sont fatigués et/ou énervés. C’est rarement nécessaire en seconde et en première.  Je dois également revenir au tableau pour corriger les erreurs et expliquer si besoin un élément spécifique lié à la correction. Je n’ai en pas encore mis en place ce système en sixième mais leur proposerai plus tard dans l’année.

Face au constat que les remarques « participez davantage » des bulletins sont peu efficaces voire contre-productives, j’ai décidé d’encourager les élèves à faire usage de leur droit à la parole1.

Nous en discutions récemment avec l’ancien directeur de l’école primaire de notre établissement : il m’expliquait que son équipe avait décidé de faire tourner la présidence du conseil des élèves au cours de l’année pour éviter que ce soient toujours les mêmes élèves volontaires qui l’occupent (ce que n’observe-t-on pas chez les adultes.) Ces expérimentations ont donc une dimension démocratique : elles ont pour but d’apprendre aux élèves à prendre et distribuer la parole et à s’organiser collectivement.

Pour ce qui est de l’évaluation, j’ai mis en place une note d’investissement fondée sur le fait que les élèves aient occupé la fonction de « prof », corrigé des questions à l’oral et au tableau, proposé un exposé ou une recherche à la maison, proposé une capitale à deviner au « jeu des capitales » ou une « info/intox » (Ce jeu s’inscrit dans le cadre de l’EMC : les élèves doivent devenir si une ou plusieurs informations sont vraies ou fausses. L’élèves qui fait deviner indique, au moment de la correction, ses source), raconté ce que nous avons fait lors du cours précédent, lu un document ou la leçon, ou encore écrit celle-ci au tableau… Toute participation, même erronée ou imparfaite, est prise en compte. Pour les élèves les plus timides, je propose également de rendre des entraînements supplémentaires qui comptent aussi pour cette note d’investissement. 

Je tiens donc une liste dans laquelle j’inscris qui participe et comment. Cela me permet de faire tourner les fonctions pour que tout le monde les ai occupées au moins une fois à la fin de chaque trimestre. Dans certaines classes cette année, les élèves ont commencé à créer leur propre liste pour savoir qui sera « prof » (ou autre) à tel moment. 

 

Quelques retours d’élève

Après le rendu de l’évaluation écrite du premier thème d’HGGSP (sur la démocratie), nous avons fait le bilan du début d’année avec les élèves de 1ère afin d’en préparer la suite. C’est la première année que j’enseigne cette spécialité. C’est un demi-groupe de seulement 12 élèves donc il est facile de faire circuler la parole. Comme d’habitude, ce sont deux élèves qui ont été chargés de la distribuer (ils pouvaient bien sûr s’interroger eux-mêmes). Ma collègue AESH (Accompagnant des élèves en situation de handicap) a aussi participé à notre échange. Nous avons lu le début de l’article en « lecture fluide »2 puis nous avons échangé.

 


1. du titre d’un film documentaire sur l’Ecole La Source en cours de réalisation.

2. « La lecture fluide » de Katell Carrer, professeure de lettres au collège. Disponible sur PageÉduc’ : https://www.page-educ.fr/article/la-lecture-fluide



 

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