Les petites histoires de l'éducation

Plus de paresseux

André Balz (1845-1931)
professeur agrégé de lettres

Dans cet article de 1909, André Balz (1845-1931), professeur agrégé de lettres, discute la thèse du docteur hygiéniste Victor Pauchet, selon qui la paresse des élèves s’explique toujours par une maladie ou une infirmité. 

Ne croyez pas que j’ai cueilli ce titre à la quatrième page des journaux, entre le meilleur chocolat et le remède infaillible contre la chute des cheveux. C’est un journal pédagogique, L’Éducateur moderne, qui nous fournit cette inestimable panacée sous la plume d’un docteur qui est aujourd’hui un de nos hygiénistes les plus en vue.

Quand cessera-t-on de considérer la paresse comme une faute digne de toutes les sévérités des maîtres et des parents ? Comment, parce qu’un enfant ne sait pas sa leçon, son professeur la lui fera copier ou les parents le priveront de dessert et de promenade ! Mais cet enfant ne mérite ni reproches ni punitions. Il a besoin de soins, voilà tout. « Les maîtres, dit le docteur Pauchet, doivent être convaincus que la paresse est toujours d’origine physique et que c’est à guérir, non à punir, qu’il faut s’appliquer. »

Voilà du moins qui est net. On ne reproche pas à un élève d’avoir la grippe ou la fièvre typhoïde. Si la paresse est une maladie, plus de punitions, de consignes, de réclusion ou d’exclusion ! Au lieu d’envoyer les enfants à la retenue, nous les enverrons désormais chez le médecin.

Et quelles sont les causes d’ordre physique qui expliquent et justifient la paresse ? Le docteur Pauchet, très précis, en a relevé jusqu’à quatre. 

Ou bien le paresseux voit mal. Et, s’il voit mal, comment voulez-vous qu’il suive au tableau ou sur les cartes murales les explications du maître ? Son attention se fatigue il devient un isolé dans la classe, étranger à tout se qui se fait en dehors de son rayon visuel. Conduisez-le chez l’oculiste.

Quand ce n’est pas la vue qui est en défaut, c’est l’oreille. Si l’enfant entend mal, il perd tout de suite l’enchaînement des paroles du maître ou les explications des camarades. Dès lors, quel intérêt aurait pour lui ce vague bourdonnement qui s’appelle une classe ? Hâtez-vous de le conduire chez l’auriste.

Il arrive aussi qu’il respire mal. « L’un, dit le docteur Pauchet, a la gorge remplie d’adénoïdes qu'il faut gratter ; l’autre respire la bouche ouverte et oxygène mal son sang. Le troisième a une poitrine étroite car ses parents ou ses maîtres ne lui ont point appris à respirer. » Ne perdez pas de temps. Courez vite chez les spécialistes de la gorge et du larynx.

Et les autres ? Ceux qui ont de bons yeux, l’oreille fine et des poumons robustes ? Attendez-un peu. Le docteur Pauchet va nous révéler le défaut de la cuirasse : « C’est un fils de goutteux, d’obèse, de diabétique, de migraineux, d’eczémateux ou de neurasthénique. Il est né paresseux par suite du ralentissement de ses fonctions vitales. Son tonus musculaire est faible. Les battements du cœur sont mous ; les réflexes sont lents. L’examen des urines montre qu’elles sont toxiques et chargées d’acide urique. L’examen des matières, l’exploration du foie prouvent que le tube digestif est le siège de fermentations intestinales qui alourdissent l’intelligence et paralysent l’activité cérébrale. Quelle bêtise de punir l’enfant et surtout de l’enfermer, de lui faire copier des lignes, de le priver de récréations dont il a besoin plus qu’un autre ! »

Ainsi la conclusion est toujours la même. La pédagogie répressive se trouve ramenée à zéro. Si tous les paresseux sont des malades, ils ne sont pas responsables de leur paresse et, par suite, ils relèvent de la thérapeutique et non de la discipline scolaire. Ce qu’il leur faut, c’est un régime végétarien, farine de céréales, fruits et laitage. C'est du repos après le repas du midi, des « bains d’air » et surtout des « bains de soleil ». Créons pour eux des écoles de plein air.

 

Mais le docteur Pauchet n’a-t-il pas exagéré ? Est-il bien sûr qu’il n’y ait pas des paresseux bien portants et de très bons élèves dont la santé laisse souvent à désirer ?

« Bien des enfants me passent chaque année par les mains, me disait l'autre jour un professeur à qui je parlais de la théorie du docteur Pauchet, et je puis vous assurer que j’ai eu maintes fois à la tête de ma classe des enfants qui étaient myopes ou durs d’oreilles, d’autres qui avaient la poitrine faible ou l’estomac délicat, tandis qu’à côté d’eux se prélassaient des gaillards très bien plantés et qui pouvaient affronter toutes les visites médicales sans risquer le moins du monde d’être “reconnus” ». 

Mais les médecins n’ont-ils pas une tendance à voir partout des malades et à ramener tous les phénomènes à la thérapeutique ? Est-ce que chaque fois qu’on juge un grand procès criminel, il n’y a pas des spécialistes qui cherchent à démontrer l'irresponsabilité de l’accusé, qui demandent le remplacement du juge par le médecin aliéniste et la substitution du sanatorium à la prison ? 

Pour ma part, si j’étais instituteur à Amiens, je ferais très volontiers l’expérience suivante : J’enverrais tous mes élèves sans exception à la visite du docteur Pauchet. Il les examinerait avec l'attention scrupuleuse et la sûreté de diagnostic qu’on se plaît à lui reconnaître. Il ne saurait rien, bien entendu, de leurs aptitudes ni de leur valeur scolaire. Et il dresserait en toute liberté, pour chacun d’eux, une fiche médicale visant les quatre chefs de débilité physique qui lui semblent les causes uniques de la paresse. Ces fiches, délivrées par le médecin, je les rapprocherais des notes méritées par chaque élève et des places obtenues dans les compositions. Et ce travail fait, nous verrions si vraiment tous les paresseux sont des malades et si tous les malades sont des paresseux. 

 

 

André Balz (1845-1931) est un professeur agrégé de lettres. Il a été le président de l’Association de la presse de l’enseignement et un contributeur très régulier du Manuel général de l’enseignement primaire. 

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