Les vacances
Dans cet article, André Balz (1845-1931), professeur agrégé de lettres, s’indigne des inégalités qui régissent les congés des enseignants, en particulier ceux des institutrices de maternelle. Pourquoi n’ont-elles droit qu’à un mois de repos quand d’autres en ont deux ? Est-il juste de conditionner les vacances à des activités périscolaires ? Telles sont les questions qui agitent le monde éducatif en 1902.
Elles sont proches, et le sujet, aussi intéressant pour les maîtres que pour les élèves, a, par surcroît, le mérite de l’actualité. On sait que, dans l’enseignement supérieur, la durée des vacances est de trois mois. Les Universités, comme les tribunaux, ne rouvrent leurs portes que dans les premiers jours de novembre. Les professeurs de l’enseignement secondaire ont droit, eux, à deux mois pleins, août et septembre. Mais, dans un camp comme dans l’autre, tous les professeurs ou fonctionnaires d’un même ordre sont soumis au même régime.
Il n’en est pas ainsi dans l’enseignement primaire. Là, nous trouvons encore des catégories, des classes, des compartiments. Il y a entre instituteurs et institutrices une hiérarchie, et chacun en prend, comme on dit, pour son grade.
Au sommet, ceux qui ont fait des cours du soir jouissent, ainsi que les professeurs des lycées et des collèges, du privilège des deux mois pleins. Les autres sont soumis à la portion congrue et subissent un « rabiot » de quinze jours. Cette façon de récompenser des hommes d’âge en leur donnant quelques jours de congé — comme on met les enfants au régime du pain sec ou des confitures — a d’abord quelque chose d’un peu puéril. Faute de mieux, elle doit plaire sans doute aux intéressés. Mais le moindre grain de mil, je veux dire un tout petit mandat de cent ou même de cinquante francs, ferait beaucoup mieux leur affaire. C’est très beau d’avoir des loisirs, mais comment les employer agréablement quand on loge le diable dans sa bourse ?
Pour les autres, condamnés à la maigre chère des six semaines, la mesure n’est pas exempte d’humiliation ni d’injustice. C’est comme une mauvaise note qu’on inscrit sur leur casier universitaire : « X..., pour n’avoir pas pris part aux œuvres post-scolaires, fera quinze jours de classe de plus. » C’est vexant et ce n’est pas très juste. Car enfin leur bonne volonté, leur zèle ne sont pas toujours en cause. Ils peuvent s’être montrés tout aussi dévoués que leurs collègues, mais ils ont eu la malchance d'être envoyés dans des milieux réfractaires ou de trouver, hors de l’école, une opposition, des obstacles qui ont paralysé leurs moyens d’action.
Ce n’est pas tout : les institutrices des écoles maternelles sont encore moins bien partagées. On les relègue, pour les vacances, au dernier degré de l’échelle hiérarchique. On leur accorde dédaigneusement un mois sec, et sans plus. Et pourquoi ? Est-ce parce qu’elles sont déjà astreintes au service du jeudi ? Est-ce parce que la surveillance des enfants en bas âge réclame plus de soins, d’assiduité, de vigilance de toutes les minutes ?
Mais si l’on accorde à ces institutrices des vacances plus longues, que diront les familles, que diront les mères qui ont besoin de gagner leur vie ? N’allez-vous pas les mettre dans l’alternative, ou de négliger le métier qui les fait vivre, ou de laisser leurs enfants sans surveillance à la maison ?
À quoi je réponds : Si votre raisonnement est bon pour six semaines, il n’est pas moins bon, je suppose, pour un mois. La logique voudrait donc que les écoles maternelles fussent ouvertes toute l’année et que les institutrices chargées de les diriger n’eussent pas de vacances du tout. Oserait-on aller jusque-là ?
N’est-il pas déraisonnable et peu humain de marchander ainsi quelques jours de repos à celles qui sont précisément chargées des fonctions les plus assujettissantes et les plus ingrates ?
Que s’il faut absolument que l’école maternelle rouvre ses portes plus tôt, serait-il impossible de trouver des suppléantes qui, pour une rétribution modeste, se chargeraient de l’intérim ?
Car enfin, dans les écoles primaires soumises au régime des deux mois de vacances, il ne manque pas non plus de familles qui préféreraient garder moins longtemps leurs enfants. Elles s’y résignent cependant et finissent par comprendre que la nécessité du repos des maîtres est liée tout de même à l’intérêt de l’école. Pourquoi supposer d’avance moins raisonnables ou moins résignées les familles qui envoient leurs enfants à l’école maternelle ?
Mon confrère et ami Murgier nous dit, dans l’École nouvelle, qu’au moment où le Conseil départemental de Seine-et-Oise a été appelé à fixer la date des vacances pour 1902, il a déposé un vœu tendant à ce que cette durée fût la même pour les écoles maternelles comme pour les écoles primaires. Et il ajoute que « si les Conseils départementaux de toute la France émettaient un vœu analogue au moment psychologique, qui est l’heure présente, leur voix unanime et formidable aurait de l’écho en haut lieu. » Il serait facile, il nous semble, d’installer à peu de frais, dans les écoles maternelles, une petite étuve rudimentaire pour la désinfection des principaux objets en bois.
Je crois avec lui que le moment est favorable. Nous avons une assemblée et un ministre tout battant neufs. Ils ne sont pas encore blasés sur les requêtes. Ils ne demandent qu’à écouter les représentants naturels du personnel primaire. Encore faut-il qu’ils parlent.
André Balz (1845-1931) est un professeur agrégé de lettres. Il a été le président de l’Association de la presse de l’enseignement et un contributeur très régulier du Manuel général de l’enseignement primaire.