L’art à l’école
Gaston Quénioux (1864-1951)
Professeur de dessin
Dans cet article de 1906, Gaston Quénioux, professeur de dessin, explique comment rendre les écoliers sensibles à l’art et à la beauté. Son idée est qu’il s’agit de trouver, parmi les œuvres belles, celles qui plaisent naturellement aux enfants, afin de développer leur goût.
Comment procéder pour rendre agréable l’aspect de notre classe et contribuer ainsi à l’éducation du goût ? L’on ne saurait répondre à cette question par des indications précises, mais seulement en donnant des indications générales. Je dirai bien les principes qui me semblent justes et qui à mon sens doivent guider le décorateur dans ce cas spécial; mais je laisserai à chacun le soin d’en déduire une mise en pratique qui aura le mérite de lui être personnelle. Je veux indiquer ce que je ferais si j’avais à procéder à l’ornementation d’une classe, mais je me garderai de formuler à ce sujet une règle absolue et invariable ; ce serait aussi vain que contraire au but que nous nous efforçons d’atteindre. L’initiative de chacun, les circonstances, les ressources locales, la diversité des installations, tout doit contribuer et aboutir à mille applications différentes d’un même principe : l’ensemble qui en résultera sera certainement meilleur qu’une seule solution excellente répétée mille fois, l’uniformité en matière d’art étant toujours condamnable.
Les principes qui doivent nous inspirer sont les suivants : De même que les belles choses sont éducatrices au point de vue du goût et doivent être mises en évidence, de même la banalité et la laideur étant funestes, l’on doit réprouver les choses laides ou banales et les bannir de l’école autant qu’il est possible de le faire. En art, la simplicité, la sobriété des moyens sont des qualités ; à l’école ces qualités sont indispensables.
Il ne suffit pas qu’à nos yeux d’adultes la classe soit décorée avec goût ; il faut que le charme, la beauté ou la délicatesse de la décoration scolaire soient tels que ces qualités puissent être accessibles à la compréhension enfantine. Toute l'ornementation – éléments décoratifs, sujets et colorations – devra donc être suggérée par la psychologie de l’enfant et tenir compte des goûts manifestés par lui.
Ceci posé, voici quelques conseils pratiques pour servir de base à une action immédiate :
1° Enlever tous les tableaux pédagogiques, ces tableaux n’ayant aucun caractère artistique et la plupart étant d’un goût franchement détestable. Ces tableaux ne devraient être mis sous les yeux des élèves que temporairement, c’est-à-dire au montent de la leçon.
2° Faire peindre les murs de la classe dans une tonalité claire et gaie. Ne pas craindre d’adopter une couleur franche sans être criarde. Pour les écoles de garçons, les tons peuvent être plus hardis, plus intenses de couleurs et plus atténués, plus délicats pour les écoles de filles. Un soubassement de couleur plus foncée et un large filet en haut de la paroi. Si les tons sont bien choisis, la classe présentera par ce fait même, et sans aucun ornement proprement dit, un caractère varié de charme, de gaieté, ou de distinction.
Les circonstances sont-elles favorables, les ressources dont dispose l’école le permettent-elles ? Une frise peinte au pochoir en deux ou trois tons au plus complétera la décoration fixe de la classe. Il y a aussi des frises imprimées en couleur dont quelques unes répondent à notre but. Mais ici la chose se complique car le choix de cette frise est délicat et difficile : sa grandeur doit être proportionnée aux dimensions de la classe, les éléments qui la composent, sa coloration doivent être déterminés par l’harmonie même de la salle où elle doit être placée, et le maître soucieux de bien faire sera sage en demandant conseil à quelque artiste décorateur expérimenté.
Dans ce choix, nous pensons qu’il faut considérer l’effet produit à distance par une heureuse répartition de taches. Des fleurs et des feuillages dont le caractère a été assez respecté par l’ornemaniste pour que l’enfant puisse les reconnaître, des silhouettes bien lisibles et simplement exprimées, conviennent presque toujours.
La décoration mobile se composera de cadres contenant les meilleurs dessins faits par les élèves, exposition qui sera renouvelée autant de fois que les exercices se succéderont.
Objectera-t-on que l’esthétique de ces dessins n’est guère élevée ? Sans doute, mais elle est accessible et comprise par tous les enfants ; c’est aussi la forme d’art qui les touche le plus et leur est le plus profitable. Il dépend de l’enseignement que les qualités de ces dessins s’élèvent progressivement.
Un cadre d’une dimension plus importante sera placé très en vue dans la classe. Ce dernier cadre est destiné à recevoir de bonnes reproductions des chefs-d’œuvre, parfois une belle estampe moderne en couleur ou, par exemple, une belle estampe japonaise.
Les sujets représentés par ces œuvres de maîtres anciens ou modernes doivent être choisis avec soin et toujours avec le souci d’être à portée de la compréhension enfantine. Leur exposition sera d’aussi courte durée que possible, il est désirable que les écoles soient pourvues d’une collection assez nombreuse pour permettre le changement chaque semaine de façon que la curiosité des enfants soit constamment sollicitée par la nouveauté de l’image qui leur sera offerte.
Les questions posées par les élèves fourniront au maître l’occasion de commenter et d’expliquer succinctement l’œuvre présentée. Il ne s’agit ni d’entrer dans des considérations esthétiques raffinées, ni de faire un cours de chronologie artistique, mais seulement de susciter les réflexions des enfants et de leur faire établir un rapprochement entre ces œuvres de maîtres, et les spectacles qu’ils sont à même d’apprécier dans la vie journalière et dans la nature qui les entoure.
Seulement par la vue de ces œuvres, et par leur observation attentive se développera en eux, lentement sans doute mais à coup sûr, le goût des belles choses.
Voilà toute la décoration que nous adoptons pour les murs de la classe. Il sera facile d’ajouter à l’aspect aimable de notre classe en faisant l’acquisition d’un ou de deux pots en grès ou en faïence commune.
Ces pots, de forme simple, n’auront d’autre décor que les coulées d’émail ; ils seront placés sur une sellette ou sur le bureau du maître.
Selon la saison ils contiendront des lilas, des roses, des pivoines, des giroflées, des chardons, du houx et ces plantes apporteront dans la classe avec leurs parfums et leurs couleurs les éléments de vie qui sont aussi des éléments de beauté.
Ce n’est pas un vain optimisme qui nous fait croire aux bienfaits d’un milieu où règnent le goût et la vie. À son insu, l’enfant en subit une impression féconde, les couleurs lui communiquent leur joie et leur délicatesse, son sentiment s’élève, son intelligence devient plus active et, rendu plus heureux, il n’est pas douteux qu’il ne soit ainsi mieux prédisposé à l’étude.
Après une brillante scolarité à l'École nationale des arts décoratifs, il est admis au certificat d'aptitude à l'enseignement du dessin (degré supérieur) en 1882. Il enseigne cette matière à la Chambre syndicale de la dentelle, puis au lycée d'Auch (1888) et au lycée Michelet de Vanves (1894). En 1910, il est nommé inspecteur général pour l'enseignement du dessin.