La loi de 1905, l’école et le catéchisme
Introduction historique
L’école et l’Église de 1870 à 1905
Après la défaite de 1870 et la chute du Second Empire, la IIIe République fait de l’école un enjeu central pour former des citoyens républicains. L’objectif est de construire une nation unie autour de valeurs communes. Or, à cette époque, l’enseignement est encore fortement marqué par l’influence de l’Église : de nombreux enseignants sont religieux, le catéchisme est parfois présent dans l’école publique, et les curés exercent une autorité morale très forte dans les villages.
Les lois Ferry de 1881 et 1882 rendent l’école gratuite, obligatoire et laïque. La religion sort officiellement des programmes scolaires.
Mais sur le terrain, les tensions restent vives. Les curés continuent de dénoncer l’école laïque, accusée de détourner les enfants de la foi. En face, les instituteurs, surnommés les « hussards noirs de la
République », incarnent la transmission des valeurs républicaines : instruction, raison, morale civique, esprit critique.
Il existe alors une véritable guerre d’influence : le curé veut former de bons chrétiens, l’instituteur veut former de bons citoyens. Les conflits portent sur l’éducation, les enterrements, les cérémonies, la place de la religion dans l’espace public.
La loi du 9 décembre 1905 vient clore ce long affrontement. Elle sépare officiellement l’État et les Églises. L’école devient totalement civile. La religion devient une affaire privée. La République affirme sa neutralité.
Articles essentiels de la loi du 9 décembre 1905
Nous ne reproduisons pas exactement ces articles mais une version abrégée et simplifiée, pour la compréhension de tous.
Article 1
La République assure la liberté de conscience.
Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées dans l’intérêt de l’ordre public.
Article 2
La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte.
Article 28
Il est interdit d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics, à l’exception des édifices servant au culte, des cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions.
Article 30
L’enseignement religieux ne peut être donné aux enfants inscrits dans les écoles publiques qu’en dehors des heures de classe.
Article 31
Sont punis ceux qui, par violences, menaces ou pressions, contraignent quelqu’un à exercer ou à s’abstenir d’exercer un culte.
Article 35
Si un ministre du culte provoque, dans un lieu de culte, à résister à l’exécution des lois, il peut être poursuivi.
L’application de la loi : «L’École et le catéchisme », Ferdinand Buisson, 1907
En 1907, Ferdinand Buisson analyse les conséquences concrètes de la loi de 1905 sur l’école. À travers un arrêt de la Cour de cassation, il montre comment la séparation entre l’Église et l’État s’applique désormais strictement au catéchisme.
L’École et le Catéchisme - Arrêt de la Cour de cassation
La loi du 9 décembre 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État contient un article 30, ainsi conçu :
Art. 30. — Conformément aux dispositions de l’art. 2 de la loi du 28 mars 1882, l’enseignement religieux ne peut être donné aux enfants inscrits dans les écoles publiques qu’en dehors des heures de classe.
Il sera fait application aux ministres des cultes qui enfreindraient ces prescriptions des dispositions de l’art. 14 de la loi précitée.
Voici la teneur littérale de l’article 14 de la loi du 28 mars 1882 :
Art. 14. — En cas d’une nouvelle récidive, la Commission scolaire, ou à son défaut, l’inspecteur primaire, devra adresser une plainte au juge de paix. L’infraction sera considérée comme une contravention et pourra entraîner condamnation aux peines de police, conformément aux articles 479, 480 et suivants du Code pénal. L’article 463 (circonstances atténuantes) est applicable.
Dans ces derniers mois, divers prêtres, poursuivis pour avoir commis cette infraction, avaient été condamnés par les juges de paix, notamment dans la Lozère. Mais d’autres furent acquittés, en raison d’un scrupule juridique reposant sur la lettre du texte que nous venons de reproduire. Certains juges ont pensé, en effet, que cet article 14 de la loi du 28 mars 1882 n’était applicable qu’en cas de récidive, ou même, suivant le texte, « en cas d’une nouvelle récidive », et non dès la première infraction. Ainsi avait jugé notamment le tribunal de simple police de Beaumetz-les-Loges (Pas-de-Calais).
Ce jugement, déféré à la Cour de cassation, vient d’être cassé par un arrêt qui fixe désormais la jurisprudence. Voici comment il est motivé :
« Attendu que l’article 30 de la loi du 9 décembre 1905, en déclarant applicables à la nouvelle contravention qu’il a prévue les dispositions de l’article 14 de la loi du 28 mars 1882, a purement et simplement déterminé la pénalité afférente à cette contravention, et que par cette référence il n’a nullement entendu subordonner à une récidive l’application de cette pénalité ;
Attendu, d’autre part, que la nouvelle récidive dont il est question dans le texte de l’article 14 précité se rattache par un lien nécessaire aux articles 12 et 13 qui le précèdent, et notamment à l’avertissement et à l’affichage qui sont prévus, et qu’elle fait partie d’un ensemble de mesures administratives organisées par le législateur de 1882 en vue de réprimer une infraction essentiellement différente par sa nature de celle qui est prévue par l’article 30 de la loi du 9 décembre 1905 ;
Qu’en décidant le contraire, et en prononçant ainsi la relaxe du prévenu, le jugement attaqué a violé les articles de loi visés au moyen ;
Par ces motifs, casse et annule le jugement du tribunal de simple police de Beaumetz-les-Loges. »
Ferdinand Buisson (1841–1932) est un philosophe, pédagogue et homme politique français, acteur majeur de la laïcisation de l’école sous la Troisième République. Il fut président de la Ligue de l’enseignement puis de la Ligue des droits de l’homme. Il reçoit le prix Nobel de la paix en 1927, en reconnaissance de son engagement en faveur de la paix et des droits humains.
Question d'éducation morale et civique
1. Que change l’article 30 de la loi de 1905 pour l’école ?
2. Que risque un ministre du culte qui n’applique pas cet article selon Buisson ?
3. Pourquoi certains prêtres avaient-ils été acquittés au début ?
4. Que décide finalement la Cour de cassation ?
5. En quoi ce texte montre-t-il que la loi s’applique réellement sur le terrain ?
6. Pourquoi peut-on dire que la loi transforme un principe abstrait (la séparation) en règle concrète pour l’école ?
7. En quoi la justice joue-t-elle un rôle essentiel dans l’application de la laïcité ?
8. Pourquoi l’école est-elle un lieu particulièrement sensible pour la question religieuse ?
9. Selon vous, la loi protège-t-elle les croyants ou les empêche-t-elle de croire ?
10. Comment une même loi peut-elle, dans le cas du catéchisme à l’école, à la fois garantir la liberté des élèves et restreindre certaines pratiques religieuses ?
Corrigé
1. L’article 30 retire officiellement l’enseignement religieux du temps scolaire dans les écoles publiques. Le catéchisme ne peut plus être donné pendant les heures de classe. La religion devient une affaire extérieure à l’école.
2. Le ministre du culte risque une condamnation pénale dès la première infraction, sans attendre une récidive. La sanction est immédiate.
3. Certains prêtres avaient été acquittés car des juges pensaient que la sanction ne s’appliquait qu’en cas de récidive. Ils interprétaient la loi de manière trop souple.
4. La Cour de cassation décide que la sanction s’applique dès la première infraction. Elle fixe ainsi définitivement l’interprétation de la loi.
5. On voit que la loi ne reste pas théorique : des prêtres sont poursuivis, condamnés, et la justice tranche les désaccords. La loi est donc effectivement appliquée dans la vie quotidienne.
6. Le principe abstrait de séparation devient concret par l’interdiction du catéchisme dans l’école publique et par l’existence de sanctions judiciaires. La neutralité n’est pas seulement une idée, c’est une règle de droit.
7. La justice joue un rôle central car elle fait respecter la loi quand elle est contournée ou contestée. Elle empêche que des interprétations locales affaiblissent le principe de laïcité.
8. L’école est sensible car elle forme les enfants, donc les citoyens de demain. Celui qui contrôle l’école influence l’avenir de la société. C’est pourquoi l’Église et la République s’y sont affrontées.
9. La loi protège les croyants, car elle garantit la liberté de croyance, mais elle empêche l’imposition d’une religion à l’école. Elle protège la liberté individuelle.
10. Cette interdiction protège les élèves en garantissant que l’école reste un espace commun, sans pression religieuse, quelle que soit leur croyance. Mais elle remet aussi en cause des pratiques très ancrées, où religion et école étaient étroitement liées. La laïcité ne supprime donc pas la religion, mais elle déplace ses lieux d’expression, ce qui peut provoquer des résistances.