Les petites histoires de l'éducation

L’enseignement agricole en 1900

✒ Henry Sagnier (1845-1925), secrétaire perpétuel de l'Académie d’agriculture et rédacteur en chef du Journal d'agriculture

Dans cet article, Henry Sagnier, secrétaire perpétuel de l’Académie d’agriculture et rédacteur en chef du Journal d’agriculture, revient sur l’histoire de l’enseignement agricole dans les écoles primaires entre 1850 et 1900.

 

Ce fut, si j’ai bonne mémoire, Victor Duruy qui, il y a plus de trente ans, inaugura le premier plan d’enseignement méthodique des notions agricoles dans les écoles rurales. À cette époque aujourd’hui lointaine, si les fondements des applications des sciences à l’agriculture étaient déjà solidement établis, la plupart des grandes lignes de l’édifice étaient encore à l’état d’ébauche. Il était difficile de se rendre compte définitivement de l’influence que les diverses branches des sciences exerceraient sur le progrès agricole ; il était à peu près impossible de prévoir l’allure que prendrait la science agricole. On peut même dire que, malgré les meilleures intentions, on ne possédait que de très vagues notions sur le caractère même que pouvait avoir un enseignement agricole dans les écoles primaires.

Les premiers programmes devaient se ressentir de cette confusion dans les idées. Ils furent élaborés avec un grand soin ; mais leurs auteurs craignaient d’être incomplets, et ils les surchargeaient au point d’en rendre l’application difficile. Aussi les résultats obtenus furent-ils médiocres.

Une première réforme fut celle qui résulta des programmes de 1882. L’agriculture et l’horticulture entrèrent dès lors méthodiquement dans l’ensemble des connaissances formant le bagage de l’enseignement primaire ; mais les études qu’elles comportaient étaient étayées sur des notions scientifiques figurant elles-mêmes dans le programme. Cette organisation nouvelle eut un succès qu’on ne saurait méconnaître : malgré des tiraillements dans la direction générale, elle permit à l’enseignement agricole de prendre une place très utile dans un grand nombre d’écoles primaires rurales.

Elle fut complétée et modifiée, il y a une dizaine d’années, par une nouvelle direction donnée aux écoles dans un sens plus précis d’enseignement appliqué. On comprend généralement désormais que, pour attacher les esprits des enfants aux choses agricoles et les diriger d’une manière profitable, on doit, non pas les surcharger de principes théoriques, mais leur montrer les phénomènes des champs au milieu desquels ils vivent, en leur apprenant à les comprendre par des explications simples et précises. Des instructions très nettes ont été rédigées par les soins du ministère de l’Instruction publique, et largement répandues dans les écoles normales et auprès des instituteurs, si bien qu’on peut dire qu’un instituteur ne peut se tromper sur la marche à suivre.

Il est donc bien entendu désormais que l’enseignement agricole dans les écoles primaires, pour être réellement utile, doit être un enseignement pratique, ayant pour base les leçons d’observation prises soit dans les champs, soit dans le jardin d’école. On doit constater que l’application de cette méthode donne de bons résultats ; elle a, en outre, l’immense avantage de briser, au moins en partie, la défiance naturelle chez les cultivateurs relativement à l’intrusion de l’instituteur dans les choses de leur métier.

Est-ce à dire que cette méthode, dont l’utilité et les avantages sont manifestes, soit définitive et qu’elle ne soit pas perfectible ? Parler ainsi, ce serait nier le progrès, décourager les recherches, paralyser les initiatives.

Dans cette voie très juste, il y a lieu de signaler une tentative récente très intéressante, car elle s’appuie sur une idée qui ne manquera pas de frapper tous ceux qui s’intéressent au succès de l’enseignement agricole dans les écoles rurales.

Cette tentative est due à M. H. de Lapparent, inspecteur général de l’agriculture ; elle a sa réalisation concrète dans un nouveau livre qu’il vient de publier sous le titre : Le Calendrier agricole de l’école rurale (librairie Delagrave).

Pourquoi, direz-vous, ce titre bizarre et inattendu de calendrier ? Pourquoi chercher une appellation nouvelle pour désigner un enseignement dont chacun connaît les allures fatales et nécessaires ? Or, c’est précisément dans ce terme de calendrier qu’on doit trouver la nouveauté, l’initiative dont je parlais plus haut. Le mot indique d’ailleurs la chose, mais quelques explications ne seront pas inutiles.

L’idée maîtresse qui a dirigé M. de Lapparent, qui domine son livre et qui lui donne son caractère, est celle-ci : pour que les enfants tirent réellement profit de l’enseignement agricole, il faut qu’ils s’y intéressent ; ils ne s’y intéresseront qu’autant qu’on leur montrera et qu’on leur expliquera les faits qui se passent sous leurs yeux, dans les fermes où ils vivent. Leur parler de ces faits, à un moment quelconque, c’est faire appel à leur mémoire et leur imposer un travail qui, pour un grand nombre d’entre eux, sera une fatigue inutile, parce que leur esprit d’observation n’a pas été encore éveillé ; au contraire, leur parler des mêmes faits, au moment précis où ceux-ci se passent, quand ils en ont été témoins le matin en quittant leurs familles, et qu’ils retrouveront le soir en rentrant, c’est susciter leur attention immédiate, donner un aliment vivant à leur imagination, développer leur intérêt au plus haut degré. De là, l’idée du calendrier, c’est-à-dire des leçons se succédant avec les saisons, et variant leurs objets avec la variété des travaux que celles-ci entraînent dans les fermes.

L’automne étant l’époque de la rentrée scolaire, c’est par les travaux d’automne que commence le calendrier agricole de M. de Lapparent ; il se poursuit avec ceux de l’hiver, puis du printemps et de l’été. L’idée n’est-elle pas heureuse, n’est-elle pas propre à séduire ? D’autant plus qu’en suivant le cours des saisons, on aura à passer par toutes les phases des programmes élaborés suivant les règles pédagogiques.

Si ce programme a une saveur toute spéciale, sa mise en œuvre n’est pas sans présenter un intérêt très réel. M. de Lapparent a eu l’idée très heureuse de faire des enfants de l’école les collaborateurs de l’instituteur. Il suppose que quelques-uns d’entre eux sont chargés par celui-ci d’enregistrer ce qui se passe dans les champs, à la vigne, au jardin, dans les étables, dans la cour de la ferme, et de le lui signaler : c’est sur ces faits que les explications sont données à l’école et qu’elles peuvent être rapportées le soir dans les fermes. Si elles sont solides et bien faites, elles pourront profiter non seulement aux enfants, mais à leurs parents ; l’instruction agricole se généralisera et passera aux adultes par la bouche des enfants.

Ce plan est peut-être audacieux ; une connaissance approfondie de la vie agricole, comme une science éprouvée, pouvaient seules permettre de le concevoir et de le réaliser. C’est précisément par ces qualités que se distingue le livre de M. de Lapparent. Il serait hors de propos d’entrer ici dans des détails plus complets sur l’application du système ; ce qu’il importait surtout, c’était d’en dégager l’originalité et d’appeler sur ce sujet l’attention des maîtres. Il n’est pas douteux qu’ils y trouveront matière à réflexions.

Le Calendrier agricole à l’école primaire se divise en trois éditions : l’une spéciale à la région de la vigne, la deuxième consacrée à la partie de la France où la vigne n’est pas cultivée, la troisième réservée à la région méditerranéenne où des cultures spéciales sont jointes à celle de la vigne.

 

Henry Sagnier (1845-1925) est le secrétaire perpétuel de l'Académie d’agriculture et le rédacteur en chef du Journal d'agriculture. Il est aussi rédacteur pour l'agriculture à La République française, quotidien fondé en 1871 par Léon Gambetta, entre 1880 et 1889. Il est fait chevalier de la Légion d’honneur en 1889 et officier l’année suivante.

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