Inclusion en classe : Fabien Toulmé répond aux questions de deux enseignantes
Dans la bande dessinée ULIS, parue aux éditions Delcourt en septembre 2025, Fabien Toulmé met en scène la relation entre Ivan, AESH (Accompagnant des élèves en situation de handicap) et Matisse, élève en dispositif ULIS dont il s'occupe.
Deux enseignantes ont pu échanger avec Fabien Toulmé pour mieux comprendre sa démarche et les perspectives ouvertes par son oeuvre. Entretien
Le Feuilleton des Incos peut s'inscrire dans le parcours EAC de vos élèves par -2.png)
ENTRETIEN
À qui s’adresse votre ouvrage ?
Fabien Toulmé Quand j'écris une histoire, je ne réfléchis pas vraiment à qui elle s’adresse. Cette réflexion intervient plutôt dans le cadre d’une commande ou d’une communication, où l’on pense à un public précis. Ici, l’idée était surtout de raconter une histoire qui me parle et que j’avais envie d’écrire. Je laisse ensuite à chacun le soin de voir si elle lui parle ou l’intéresse.
Tout de même, ULIS est une histoire qui met en scène un public spécifique, avec des personnages aux trajectoires personnelles émouvantes. Était-il important pour vous de parler des dispositifs Ulis ? Est-ce qui a motivé l'écriture de ce livre ?
F. T. Il n'y a pas de volonté de délivrer un message. Pas du tout. Le point de départ d’ULIS, c’est que ma fille est scolarisée en ULIS du fait de sa trisomie 21. Nous avons vécu, en tant que parents, de bonnes et de mauvaises expériences. En parallèle, ma femme est AESH, ce qui m’a permis de percevoir à la fois les aspects positifs et les difficultés systémiques de ce métier.
C’est ce qui m'a donné envie d'aller voir de près ces dispositifs et leur fonctionnement et d'en faire une histoire.
J'ai donc passé plusieurs jours en classe ULIS, où j'ai été particulièrement frappé par les relations qui s'y nouent.
Quand on réunit beaucoup d’êtres humains dans un même environnement, il se produit à la fois de belles choses et d’autres plus difficiles. En découvrant l’univers des dispositifs Ulis, j’ai été très touché par les trajectoires des personnes que j’ai rencontrées, qu’il s’agisse des adultes ou des jeunes. Ce qui m’a particulièrement marqué, c’est la spontanéité de ces jeunes : j’ai eu envie de la mettre en images, de la transformer en histoire. C’est cela, pour moi, le véritable point de départ de cette bande dessinée.
Quand vous êtes allé en immersion dans un dispositif Ulis, avez-vous surtout assisté aux moments dits « en dispositif fermé », c’est-à-dire lorsque tous les élèves sont réunis dans la même classe ?
F. T. J'ai eu accès à l’ensemble de l’établissement : j’ai pu aller en dispositif Ulis, mais aussi en inclusion dans les classes « ordinaires », notamment en musique, en sport, en arts plastiques, à la cantine ou encore en salle des profs.
J’ai essayé de m’imprégner de l’atmosphère du collège dans sa globalité, pour comprendre quelles problématiques s’y posaient et quels profils composent l’écosystème de l’établissement.
Avec toute cette matière, j’ai ensuite extrait un certain nombre d’impressions, de sensations, qui m’ont servi de matériau de base pour mon scénario.
Compte tenu du panel d'expériences que vous avez vécu, pourquoi choisir de raconter particulièrement ce qui se passe dans les moments “en dispositif fermé”. Qu’est-ce qui vous a particulièrement touché et ému dans cette expérience ?
F. T. Mon idée était de raconter une année scolaire en dispositif ULIS. C'est un peu comme si j'avais posé la caméra dans la classe, qui est l'endroit où Matisse et Ivan passent l'essentiel de leur temps ; mais la caméra accompagne également Matisse en inclusion, dans la cour de récréation à mesure que ce personnage élargit son horizon de découvertes.
Le but n'est pas d'être exhaustif, sinon le texte ne serait qu'un amoncellement d'anecdotes ; il s'agit plutôt de s'intéresser aux trajectoires particulières de personnages et, à travers elles, transmettre un certain nombre de choses. Mon texte n'est donc pas un documentaire didactique et exhaustif sur l’inclusion et sur les dispositifs Ulis.
Pourquoi décide-t-on selon vous de devenir AESH ?
F. T. Les profils d’AESH sont extrêmement variés, mais j’ai observé deux grands types : d’un côté, des personnes qui exercent ce métier par choix, même si elles s’interrogent beaucoup en raison de la précarité de la fonction ; de l’autre, des personnes qui s’y retrouvent un peu par hasard, en raison de parcours de vie ou de situations qui les amènent à accepter ce poste sans l’avoir envisagé auparavant, d’autant que c’est un métier qui recrute beaucoup.
C’est une profession encore très peu valorisée par le système, aussi bien financièrement que sur le plan de la formation. Beaucoup la font avec leur cœur, leur envie, ou simplement comme elles peuvent. Ce qui fait vraiment la différence, c’est le supplément d’âme : sans lui, dans un système déjà défaillant, cela ne fonctionne pas très bien.
Avez-vous des suggestions pour améliorer ce système ?
F. T. C'est une question difficile. J’ai bien conscience que tout est extrêmement compliqué et que le nerf de la guerre, c'est le budget.
J’ai récemment lu un passionnant livre de sociologie consacré à l’inclusion scolaire. L’une de ses conclusions — plutôt pessimiste, j’en conviens — était que l’inclusion relève davantage de l’horizon et de l’idéal que d’une finalité réellement atteignable. Il y a tellement de freins et de difficultés dans ce domaine que, peut-être, tout simplement, ce n’est pas possible.
En tout cas, ce que je perçois à mon niveau, c’est un manque de moyens humains, un manque de formation et un manque d’argent.
Pourquoi pensez-vous que l’histoire de Matisse et Ivan pourrait toucher les lecteurs ? Que pourrait leur apporter cette lecture ?
F. T. J’avais envie de raconter la trajectoire d’un AESH qui se retrouve dans ce métier un peu par hasard et qui, au contact d'un enfant, s’ouvre et découvre qui il est vraiment. Ivan est quelqu’un qui a du mal à exprimer ses émotions, mais, petit à petit, il apprend grâce à Matisse, qui, lui, est atteint d’autisme et rencontre des difficultés pour comprendre les émotions.
Le livre raconte finalement la rencontre de deux personnes qui sont très différentes et qui pourtant se ressemblent ; Ivan et Matisse se complètent, apprennent l’un de l’autre et évoluent ensemble.
J’aimais particulièrement l’idée de montrer la relation individualisée de l’AESH avec le jeune qu’il accompagne, et de comprendre comment la confiance se construit. Ma femme est entrée dans le métier en accompagnant un jeune dont les réactions pouvaient être impressionnantes. Au début, elle se posait beaucoup de questions sur la manière dont les choses allaient se passer. Puis, un attachement s’est créé, naturellement, avec le temps et les difficultés rencontrées. C’est ce que je trouvais beau et que je voulais raconter : à quel point, à la fin, cette relation transforme l’un et l’autre.
Toutes les expériences humaines nous transforment. Quand elles sont aussi intenses et individualisées, on a le temps de se concentrer sur l’autre et d’entrer véritablement en communication avec lui.
Faut-il voir cette bande dessinée comme un hommage ou un remerciement ? Et si oui, à qui ?
F. T. Je ne pense pas qu'il faille la voir comme un hommage. C'est une histoire que j'ai eu envie de raconter, tout simplement.
Après, bien sûr, en la faisant, j'ai pensé à tous les parents qui, comme nous, ont un enfant avec des besoins spécifiques. C'est, quoi qu'on en dise, une lutte quotidienne, avec de nombreux moments de combat. Le terme est un peu guerrier, mais on se bat pour faire un dossier MDPH (Maison départementale des personnes handicapées), pour trouver un AESH, pour faire en sorte que son enfant soit accepté. La vie de parents d'enfants porteurs de handicap n'est pas sans embûches.
J’ai aussi pensé à tous les jeunes en situation de handicap, qui doivent affronter tant d’obstacles pour pouvoir être inclus. Ce qui rend ce combat un peu plus léger, ce sont toutes les personnes que l’on rencontre et qui jalonnent le parcours de l’enfant : des professionnels investis et passionnés qui viennent simplifier les choses.